Cher lecteur Durbuysien ou d’ailleurs,
Toi qui passes par ici et qui poses les yeux sur ces lignes, je te remercie d’avance de prendre le temps de les lire.
Mon texte est long. Onze mille neuf cents mots, vingt pages de texte, c’est beaucoup, j’en conviens, mais je ne peux me résoudre aux idées toutes faites et aux jugements à l’emporte-pièce. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, tout bon ou tout mauvais. Et rester nuancé demande du temps.
Je ne suis pas Durbuysien. À mes yeux, d’ailleurs, cela ne signifie pas grand-chose de se prévaloir de telle ou telle identité à l’aube d’une ère où nous ne sommes plus seulement, déjà, des citoyens du monde mais, aussi, en passe de devenir des citoyens de l’univers.
J’estime donc simplement avoir le droit, sinon le devoir, de m’exprimer sur Durbuy et dire tout haut ma pensée.
Qui plus est, je peux la dire d’autant plus librement que je n’ai absolument aucun intérêt personnel à Durbuy. Ni direct, ni indirect. Je ne suis pas homme politique et je n’ai pas de fortune à investir.
La seule critique qui pourrait m’être faite serait donc que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Je suis prêt à l’assumer.
Mais commençons par le début
Un des plaisirs de ma vie a toujours été de marcher. Partout où cela est possible. En ville, à la campagne, en montagne ou en forêt. Et depuis que j’ai été capable de le faire, j’ai toujours adoré prendre une carte et une boussole et partir à l’aventure. N’importe où.
C’est ainsi que j’ai, un jour, découvert Durbuy. En y arrivant à pied, sac au dos, carte et boussole en mains.
C’était il y a presque cinquante ans. J’avais 18 ans et j’allais de temps en temps escalader les rochers de Hotton. Mais un jour, en descendant du train à Melreux-Hotton j’ai simplement pris la direction Nord-Est : cap vers Durbuy qui m’était totalement inconnue.
Après deux bonnes heures de marche à travers une splendide forêt, je suis arrivé sur les hauteurs de l’étroite vallée dans laquelle (selon ma « carte d’état-major » de l’époque) se nichait mon objectif.
J’ai retrouvé l’Ourthe qui avait choisi le cours des vallées alors que j’avais pris le chemin des collines. Et j’ai découvert, là-bas, à droite, quelques maisons, une église et un château de pierres grises. Spectacle magique pour moi qui venais d’un petit village hennuyer où les terrils de charbonnages et les crassiers constellaient mon paysage quotidien. Une atmosphère de calme et de sérénité y régnait. Une vie paisible, familiale, rythmée par la nature et l’accueil de quelques rares campeurs ou touristes d’un jour.
Pendant ces quelques cinquante années j’ai refait des marches dans la région. Bien sûr le GPS a remplacé ma boussole et j’ai mangé au « Sanglier des Ardennes » en savourant quelque grand cru de Bourgogne au lieu de grignoter une tartine à la confiture à la terrasse d’un petit bistrot. Mais je suis toujours resté profondément séduit par l’écrin de nature qui protégeait « la plus petite ville du monde ».
Ce qui a toujours été merveilleux au cours de ces marches c’était de pouvoir découvrir l’incroyable richesse de la nature environnante : les champignons, les fleurs, les arbres. C’était de m’asseoir au pied d’un arbre et regarder autour de moi en écoutant. Le piaillement des oiseaux, le bruissement de l’eau qui coule, un sanglier qui venait défoncer le sol à dix mètres de moi pour trouver quelques glands, sans qu’il soit effrayé par ma présence. Ou le silence de la nuit seulement troublé par le souffle du vent dans les feuillages, le chuintement d’une chouette, le brame d’un chevreuil ou l’envol d’un hibou.
Dans les années nonante, j’ai aussi découvert une autre facette de la ville lorsque les villages de Noël ont commencé à fleurir en Belgique. J’ai mangé du boudin de Noël et j’ai bu du vin chaud aux chalets de Noël installés Place des Foires, tout en bavardant de tout et de rien avec des Durbuysiens que je ne connaissais pas mais qui m’accueillaient dans une ambiance chaleureuse et pleine d’une franche convivialité.
J’y suis retourné il y a six ans. En famille.
Pas mal de choses avaient changé. J’ai dû laisser ma voiture dans un parking de dissuasion et nous nous sommes mis dans la file des visiteurs. Nous avons emboîté les pas d’autres quidams que nous avons suivis patiemment. Procession silencieuse. Direction la Place des Marchés où, malgré tous mes efforts et ma meilleure volonté, je ne suis jamais parvenu à m’arrêter à un des chalets : ça poussait derrière, devant et de tous côtés. Étrange impression que d’être pris dans un flot humain qui coule au son de « Jingle Bells » ou de « Mon Beau Sapin » susurré par Tino Rossi et où les seuls « échanges » verbaux se sont limités à des « excusez-moi », « désolé de vous avoir bousculée madame » ou, même en cette veille de Noël, aux manifestations agressives de personnes qui perdaient leur calme dans une foule qui était devenue un étouffoir oppressant.
Nous avons suivi le courant humain, marché jusqu’au pont qui enjambe l’Ourthe, traversé la rue et suivi, à la file indienne, le trottoir qui nous a ramenés à ma voiture. Dans le froid et l’obscurité de la soirée, tous semblaient pareils. Un seul point différentiait les uns des autres : ceux qui partaient marchaient plus vite que ceux qui arrivaient. Piètre souvenir.
En cette veille de Noël 2011, j’étais déçu et je pensais que je n’irai sans doute plus au marché de Noël de Durbuy.
Il est peut-être temps de dire que j’habite aujourd’hui à Braine-le-Château, à moins de cent mètres du Bois du Bailly qui est une porte d’entrée sur le Bois de Halle (celui où on vient du Japon pour voir les tapis de jacinthes des bois au printemps), la Forêt de Soignes et toute la campagne du Roman Païs. Chançard que je suis !
J’habite aussi à moins d’un kilomètre du plus vieux morceau de roche visible de Belgique. C’est un beau vieillard de 540 millions d’années. Peu de gens le connaissent, il est discret et il ne reçoit les visites que de rares étudiants en géologie. Mais surtout n’en parlez pas, on pourrait avoir envie de le faire voir au monde entier… Parce que… je dois aussi avouer ici ne pas être mieux que beaucoup d’autres et être un peu, par paresse et opportunisme certainement, atteint du syndrome NIMBY (Not In My Back-Yard, Pas dans mon arrière-cour). Je n’en suis pas spécialement fier mais je m’efforce de rester honnête et objectif dans mes choix. Pour ma défense je dirai : « Que celui qui est prêt à voir trois millions de touristes par an traverser son jardin, sans s’y opposer, me lance la première pierre. Moi, j’ai déjà 17 000 voitures et camions qui passent devant ma maison chaque jour, je sais un peu ce que ça signifie. »
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