Non ce n'est pas un faux Millet... c'est le bord du canal à Clabecq un matin d'automne
Un seul exemple concret qui vaut sans doute une digression.
À cinq kilomètres de chez moi, les travailleurs des forges de Clabecq n’ont toujours pas reçu les indemnités de faillite de l’entreprise auxquelles ils peuvent prétendre. La faillite des forges a été prononcée le 3 janvier 1997 ! Il y a 20 ans ! N’empêche, le groupe Duferco a pris le relais mais Duferco Développement qui préside à la réhabilitation du site industriel n’est pas juridiquement concerné par ces questions. Il n’y a donc rien qui s’oppose au projet pharaonique décidé pour l’avenir du site industriel.
J’ai appris, pas plus tard qu’hier, le début de sa mise en œuvre : 2 000 à 2 500 logements pour 6 000 nouveaux habitants, de 28 000 à 70 000 mètres carrés de bureaux, dispensaire médical, hôtel et commerces en tous genres, cinémas et autres espaces de délassement et… 25 hectares d’espaces paysagers (qui permettront d’augmenter les prix des habitations de ceux qui auront la possibilité de bénéficier de leurs vues directes) sur le site des anciennes forges. Une autre ville dans la ville ou un nouveau ghetto contenu entre le canal et les voies de chemin de fer ? Nouveau chancre dortoir de Bruxelles ou un nouveau pas pour le développement de Tubize ? Tubize qui se targue d’être la ville qui croit le plus vite en Belgique. 28 237 habitants au 1er mai 2017 mais un objectif de 70 000 habitants dans 20 ans et la construction de pas moins de 15 000 nouveaux logements.
Eh oui, personne n’est à l’abri ! Pourtant, en septembre 2016, en circulant à vélo le long du Canal Bruxelles-Charleroi à Clabecq, j’avais pris la peine de m’arrêter pour lire quelques panneaux d’affichage d’un « Avis d’enquête publique pour un permis d’urbanisation pour 210 logements ». 210 logements, ça semblait acceptable sur 82 hectares, l’équivalent de 100 terrains de football. Aujourd’hui je crois que je dois consulter d’urgence un bon ophtalmo parce que, bon dieu, j’ai loupé un zéro dans l’histoire. Était-ce 210 ou 2500 qui était écrit sur les affiches ? Cherchez l’erreur. « Erreur matérielle » comme on qualifierait « cela » ou ai-je vraiment sauté un zéro ? Pourtant, sur les photos que j’ai prises de ces affiches – eh oui, j’ai même pris des photos-, il est bien écrit : « création de 210 logements dont 128 maisons et 82 appartements, commerces de proximités, activité de distribution ou des services et équipements communautaires peuvent être envisagés ». Que n’ai-je essayé de trouver copie du « Master plan » concocté en 2010 et qui définit la réhabilitation du site industriel pour en savoir plus ! Vous voyez, ce qui est vexant ici, c’est que ça se passe à côté de chez moi, « in my back-yard », mais dans la mauvaise direction. Celle où je n’ai rien à dire parce que je ne suis pas Tubizien, puisque je suis identifié Castellobrainois. Même si je suis plus proche du site des forges que beaucoup d’autres habitants de Tubize, je n’ai reçu et ne recevrai aucune information sur ce qui bouleversera peut-être toute ma vie dès demain. Cerise sur le gâteau, ce « Master plan » s’est intégré comme modèle dans l’enseignement universitaire.
Alors, j’ai voulu savoir et j’ai trouvé. J’ai surtout trouvé ceci :
http://www.lema.ulg.ac.be/urba/Cours/Cas/1112/am%C3%A9nagementclabecq.pdf
(J. Teller – Alice Erniquin, Cours de projets urbains / Master Plan Des Forges de Clabecq, Université de Liège, session 2011-2012).
Je croyais rêver. Pour aller droit à l’essentiel, en lisant la table des matières je suis arrivé au titre de la page 24. Je n’ai pas pu résister et j’ai cliqué sur « B. Participation citoyenne » qui m’a envoyé à la page 24. J’ai lu attentivement et j’ai vu que les très vagues affirmations de l’auteur du document sur la « participation citoyenne » étaient étayées par des notes de références en bas de page, comme il se doit dans un ouvrage universitaire sérieux. J’ai donc cliqué sur les liens des notes 11 et 12. Je n’écrirai pas ici ce que j’ai lu parce que vous pourriez, à juste titre, penser que je suis un doux affabulateur. Alors, allez lire par vous-même les résultats d’une « consultation citoyenne » made in Tubize, sans doute payée bien cher, qui sert de modèle d’enseignement à des étudiants universitaires. Comme dit dans le texte page 24 : « Le projet de réhabilitation du site des forges de Clabecq mené par Duferco est un exemple en matière de participation citoyenne et en termes de partenariat entre acteurs ».
Il y a beaucoup à dire sur ce Master Plan de niveau universitaire... Au débotté : tout est fait au départ de la consultation d’internet via Google Earth, Google Map, Street View, des statistiques vieilles de 10, 15 ou 20 ans et plus, des copier / coller des sites Web de la ville de Liège ou d’autres intervenants (JNC International, etc.). La bibliographie, ou plutôt la « googlewebgraphie » devrais-je dire, est consternante pour un travail de prétention universitaire. Les auteurs ne se sont sans doute jamais rendus à Tubize pour constater qu’il y avait aussi des champs, des prairies, des jardins, un canal, une gare, un centre d’entraînement de football de niveau européen et aussi des bois à Tubize et environs ; et aussi le site de la célèbre fabrique de soie artificielle Fabelta Tubize, que Duferco est encore actif sur Clabecq ; ou qu’il y a un grand marché hebdomadaire, une vie culturelle intense, un brassage de cultures riche en couleurs, etc. Plus grave encore, tout ce plan est échafaudé en regardant le passé. C’est touchant mais c’est désastreux. Tout est résumé dans une phrase : « Pour finir, Tubize devra travailler sur l’image d’ancienne ville industrielle qui lui est restée, gérer le patrimoine qui en fait partie et assurer la bonne intégration du site tant au niveau paysager qu’urbanistique » (sic, page 22)
Je lance ici un appel désespéré : si quelqu’un peut me trouver, dans ce Master Plan, un mot, un seul, qui parle de demain ; qui ébauche un embryon de réflexion sur ce que sera l’avenir des gens à Tubize ; qui dira qui seront ces 6 000 nouveaux arrivants ; comment ils vivront et de quoi ; ce qu’ils auront envie de faire ou ne pas faire ; quels enseignements scolaires ils souhaiteront avoir ; quelles seront leurs cultures, leurs langues, leurs idées ; comment ils voudront se soigner ; qui dépeigne les conditions dans lesquelles 20 % de la population de la ville (6 000 habitants) seront parqués dans 0.25 % de la surface de la commune (81 ha / 33 kilomètres carrés); qui imagine où ils se réuniront et où ils prieront si on ne veut pas qu’ils le fassent dans la rue comme à Clichy où dans des salles bourgeoises financées par des églises évangéliques américaines ; qui interroge sur qui devra cohabiter avec quels voisins, bref, un seul mot qui éclaire une vision du futur et qui me parle des hommes, oui, des hommes, des femmes et des enfants qui y vivront, qui y vieilliront ou qui y croupiront demain, de grâce, qu’il me le signale. Moi je ne l’ai pas trouvé.
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